La vielle à roue est un instrument à cordes dont les premières traces
de sa forme d'origine, l'organistrum, remontent au début du XIIème siècle sur le territoire
de l'Allemagne actuelle.
Présente rapidement dans toute l'Europe chrétienne (on trouve des représentations sculptées
de l'instrument dans nombre d'édifices religieux, notamment en Espagne et en France,
dès la fin du XIIème siècle), La vielle à roue ne cessera d'évoluer au fil du temps.
On trouve la première mention du nom «organistrum» dans un traité rédigé autour de l'an 1100.
L'instrument lui-même, utilisé pour accompagner les chants liturgiques, devait être, comme le représente
l'iconographie médiévale, actionné par deux musiciens, l'un tournant la manivelle, l'autre manipulant les tirettes.
En réduisant sa taille pour évoluer vers un instrument jouable par une seule personne l’organistrum
va quitter le domaine religieux et se répandre dans le siècle sous la forme appelée
généralement «chifonie» (fin du XIIIème siècle).
Elle est jouée dans les châteaux par des «professionnels» (troubadours, jongleurs et autres ménestrels)
mais aussi probablement dans les tripots par des «marginaux», dans un répertoire moins courtois que satirique
ou paillard.
A partir de la fin du Moyen Âge, la vielle à roue, grâce à l'apport d'un chevalet mobile percutant la table,
devient un instrument autant rythmique que mélodique et dont l’usage va s'orienter vers des musiques à danser
populaires.
Utilisée dans les fêtes villageoises, la vielle reste aussi l'instrument de prédilection des gueux et des mendiants.
Au XVIIIème siècle, en pleine période du «baroque tardif», la vielle à roue va connaitre ce qu’on peut appeler
son «âge d’or».
Sous le règne de Louis XV, à l’époque où les princesses de la cour prenaient plaisir à se costumer en bergères de théâtre,
la vielle va séduire l'aristocratie jusqu’à son sommet puisque la reine, dit-on, la pratiquait régulièrement.
L’instrument populaire est «anobli» : richement orné (marquetterie, tête sculptée...), il bénéficie d'une fabrication
de haute qualité.
Ses possibilités sonores sont affinées afin de pouvoir l’intégrer dans les ensembles baroques.
Une littérature musicale nouvelle, pas toujours de grande qualité, commençe à proliférer.
Sont publiées de nombreuses œuvres, le plus souvent pour vielle et musette* :
suites de danses ou pièces savantes dans le "goût italien".
Après cette parenthèse faste, la vielle passe de mode à la cour et est de nouveau «reléguée» à la rue et aux
campagnes françaises.
En milieu urbain, elle demeure l'auxiliaire du mendiant ; en milieu rural elle s’imposera surtout comme instrument
pour faire danser.
Dans le courant du XIXème siècle la vielle est assimilée aux musiques traditionnelles et villageoises.
Dans certaines régions de France (Auvergne, Berry, Bourbonnais...) elle jouira alors d’une grande notoriété.
Mais elle déclinera progressivement, laissant sa place à d’autres instruments plus en vogue,
comme l'accordéon ou la clarinette, jusqu’à tomber en désuétude à l'orée du XXème siècle.
En France, dans les années 1970, le mouvement Folk va entraîner le renouveau de la vielle à roue. Présente aujourd’hui au niveau international, acoustique, electro-acoustique, électronique, numérique, on la retrouve dans tout le spectre musical, de la musique ancienne aux musiques expérimentales avec des formes et sonorités aussi diverses que les musiciennes et musiciens qui la pratiquent...
La vielle à roue est un instrument
à cordes frottées dont l'archet est remplacé par une roue solidaire
de la caisse et tournée à l'aide d'une manivelle.
Particularité unique dans l'histoire de la musique,
cette roue, comme un archet sans fin, fait sonner simultanément et indépendamment plusieurs cordes :
• les «chanterelles», utilisées pour jouer les mélodies grâce à un clavier composé de touches munies de
«sautereaux» ;
• les «bourdons», accompagnement de basses continues, dont le principe musical se retrouve sur nombre d’instruments
dont des instruments à vent comme les cornemuses ;
• une corde rythmique, véritable percussion, qui repose sur un petit chevalet mobile («le chien») vibrant sur la table
d'harmonie lorsqu'on accélère la rotation par un «coup de poignet» ;
• des cordes sympathiques*.
1 - La représentation la plus ancienne connue de vielle en Normandie est celle d'un organistrum
sculpté sur un chapiteau de l’église Saint-Georges de Boscherville.
Un témoignage historique précieux qui nous ramène au cœur du Moyen Âge (XIIe siècle).
Les vitraux, les sculptures de buffets d’orgues, les chapiteaux sont sources de nombreuses
représentations de vielles.
Les artistes et artisans normands n'ont pas été en reste pour, au cours du temps, évoquer et figurer la vielle à roue.
2 - Vitrail de l'abbatiale St Ouen de Rouen (XIVème siècle)
3 - Balustrade de l’Eglise Sainte Catherine de Honfleur (XVIème siècle)
4 - Vielleuses en ivoire du XVIIIème siècle (Dieppe)
5 - Dessin à l’encre d' Eustache Bérat (XIXème siècle, Rouen)
Lors de l'âge d'or de la vielle à roue, des musiciens, comme Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), ont intégré
l'instrument dans certaines de leurs compositions.
Parmi eux, deux sont originaires de Normandie.
Nicolas Chédeville (1705-Serez (Eure)/ 1782-Paris), hautboïste à la Cour
de Louis XV, «joueur de musette* le plus célébré de France».
Ses premières compositions sont des œuvres pour musette et vielle à roue :
les Amusements champêtres (1729).
En 1737, il publie des compositions personnelles inspirées d'œuvres italiennes qu'il arrange pour la musette
et la vielle à roue ou la flûte. En 1739, les Saisons amusantes sont
une transcription originale des Quatre saisons de Vivaldi pour vielle et musette.
Michel Corette (1707-Rouen / 1795-Paris), organiste, claveciniste et ... pédagogue,
a écrit pour la vielle à roue des œuvres telles que, en 1737,
Les Récréations du berger fortuné, concerto en Ut majeur pour «musette,
vielle, violon, flûte traversière, flûte à bec, hautbois, pardessus de viole et basse continue».
À Rouen, une rue porte son nom.
Les Récréations du berger fortuné, version pour vielle à roue (Michelle Fromenteau) et orchestre de chambre (direction : Roger Cotte), enregistrée en 1972.
1 - Allegro
2 - Adagio
3 - Presto
réf.: disque 33t ARION - Paris 1972 - Quatre concerti pour instruments rares / collection C.Ray
Rouen (Seine Maritime) a été un centre important pour la fabrication de vielles à roue au XVIIIème siècle,
avec des luthiers tels que N. Morin et J. Delafosse ou Germain Duval.
A Caen (Calvados) on trouve des vielles Desjardins.
Citons aussi les Dupont, Pointud, Salles, Daigremont...
Leur savoir-faire a contribué à la richesse instrumentale et musicale de la région normande.
Copie moderne d'une vielle à roue Morin (Rouen, XVIIIème siècle).
Au XXème siècle, André Pierre (photo), luthier amateur, a reconstruit un organistrum au Havre (Seine-Maritime).
Aujourd’hui, Claire Dugué, originaire
de Normandie (Magny le désert, Orne) et britannique d’adoption, fabrique ses propres modèles de vielle
- parmi d'autres luthiers contemporains qui assurent ainsi la transmission de ce patrimoine instrumental
aux générations futures.
Claire va permettre à l'Espace Musical d'enrichir sa collection d'une vielle à roue
du XXIème siècle.
Claire Dugué a grandi en Normandie. Elle ne connaissait pas du tout la vielle. Elle décide de partir
pour une école de lutherie à Londres afin d’y effectuer une formation. Claire partait avec l’idée de
créer des instruments anciens style viole de gambe, luth renaissance et découvre la vielle à roue.
La sonorité de l’instrument l’interpelle et se rend compte aussitôt que c’était ce qu’il fallait qu’elle fasse.
«J’ai dessiné ma première vielle à vingt et un ans et au fil du temps j’ai découvert tout ce milieu».
Il y a maintenant vingt-trois ans que Claire Dugué fabrique des vielles à roue, une quinzaine environ sort
chaque année de son atelier.[...]«J’ai pendant des années fabriqué des vielles sur le modèle des
vielles françaises du XVIIIe et XIXe siècles. Il y a cinq ans, j’ai tout arrêté, même de prendre des
commandes pour pouvoir développer autre chose. J’avais pourtant beaucoup de travail mais j’avais perdu
un peu l’intérêt pour ce que je faisais et j’avais envie de faire autre chose. J’ai changé l’intérieur
de l’instrument pour obtenir un son plus profond, plus direct, plus régulier avec un aspect vernis satiné,
plus moderne tout en conservant quelques éléments classiques, le changement se confirme aussi avec sur le
dos l’apport d’un cadre qui permet une vibration qui ajoute à la résonance de l’instrument».
Différents modèles sont au catalogue, soprano, alto et ténor. «Les vielles sont réalisées en partie en
fonction des demandes, j’ai réduit les choix, cela dit si quelqu’un veut quelque chose de particulier,
je m’adapte». La clientèle de Claire est située pour moitié au Royaume-Uni et le reste en Europe,
France, Allemagne, Pays scandinaves, Belgique, Espagne et États-Unis.[...]
Évelyne CARON - 15/07/2018 - La Nouvelle République.fr
Régis (vielle à roue) et Marie Baudart (musette) à Martainville.